Lorsqu’on nous dit d’une technique qu’elle n’est ni bonne ni mauvaise mais que seul l’usage que l’on en fait peut la rendre bonne ou mauvaise, cela veut dire que le fabricant de ce procédé technique opère un transfert de ses potentielles nuisances vers le consommateur, faisant de celui-ci le seul responsable de ce qui pourrait advenir par la suite.
Affirmer la neutralité de la technologie permet de masquer leur emprise démesurée, et croissante, sur nos existences. Cela donne à penser que le seul problème posé par les techniques consiste à savoir comment empêcher leurs mauvaises applications alors qu’en réalité, leur usage peut se révéler néfaste à l’être humain, de façon intrinsèque. La raison, fort simple à comprendre, tient à la nature prédatrice de la machine : toute augmentation de son rayon d’action aboutit en fait à une diminution de l’emprise de l’action humaine sur sa propre destinée. Cela est particulièrement flagrant concernant ce qu’il est convenu d’appeler les « nouvelles technologies », qui interagissent entre elles et sur nous à la manière de systèmes complexes et envahissants.
Prétendre en conséquence que la technologie est neutre par nature ne sert qu’à masquer le fait que les techniques que nous jugeons « utiles » sont en réalité celles qui nous sont devenues indispensables dans le monde industriel avancé dans lequel nous nous sommes laissés enfermer, nous obligeant ainsi à taire toute remise en question de ce monde si moderne et si obsédé par toute nouveauté capable de justifier son progrès et d’assurer un futur de plus en plus riche en « nouvelles technologies ». En conclusion, ces inventions si extraordinaires et ces perspectives si prometteuses n’ont pas permis à l’être humain d’arrêter de tourner en rond. C’est bien ce que font tous ceux qui ne pensent qu’à faire notre bonheur en accroissant l’emprise des technologies sur nos vies et sur notre futur.
Patrick Rion, avril 2014